Version longue de l’article « Le Covid Long » paru dans l’Infonursing de Juin 2025
https://www.infirmieres.be/actualites/revue-infonursing-215
1. Présentation de Long Covid Belgium
Long Covid Belgium est une association sans but lucratif (ASBL) fondée en février 2024, fruit d’une mobilisation de patients initiée dès 2020. Issu notamment du groupe Facebook francophone belge « Covid long, nous existons », ce collectif rassemble des patients et leurs proches pour promouvoir la reconnaissance et la prise en charge du COVID long. L’initiative met l’accent sur l’importance de l’engagement des patients dans la définition des priorités en santé publique et en recherche. Cela s’est notamment traduit par l’envoi d’une lettre à l’éditeur de la revue Nature, mettant l’accent sur la meilleure manière de favoriser l’innovation thérapeutique pour le covid long (Jamoulle, 2024 [1].). L’association Long Covid Belgium poursuit trois objectifs principaux : représenter les patients souffrant de COVID long en mettant en lumière leurs besoins spécifiques, sensibiliser le public et les décideurs aux enjeux liés à l’impact du COVID long, et soutenir la recherche pour identifier les mécanismes sous-jacents afin de développer des solutions thérapeutiques adaptées (enjeu translationnel). Ces axes d’action démontrent le rôle central que peuvent jouer les patients-experts dans l’orientation des politiques de santé.
1.2 Définition du COVID long
Le COVID long, également appelé « condition post-COVID-19 » ou syndrome post-infectieux, se définit par des symptômes persistants ou récurrents durant au moins 12 semaines après une infection aiguë au SARS-CoV-2, sans autre explication médicale. Parmi les manifestations les plus fréquentes figurent une fatigue sévère souvent invalidante, des troubles respiratoires comme la dyspnée (essoufflement), des problèmes cognitifs incluant le « brouillard mental », ainsi que des douleurs musculaires associées à une faiblesse généralisée. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a reconnu officiellement cette condition en 2021, avec une prévalence estimée entre 10 % et 35 % chez l’ensemble des patients infectés, et une proportion encore plus élevée – pouvant atteindre environ 70 % – chez ceux qui avaient été hospitalisés pour la phase aiguë de la maladie. De manière générale, plus de 200 symptômes différents ont été documentés à ce jour, affectant divers organes et systèmes (DAVIS 2023 [2] ), reflétant l’extrême hétérogénéité du COVID long. Cette variabilité, conjuguée à l’absence de critères diagnostiques clairs, rend le COVID long difficile à diagnostiquer et à prendre en charge. Néanmoins, la reconnaissance progressive de ce syndrome par les instances de santé marque une étape cruciale pour améliorer le suivi des patients.
1.3 COVID long (Patient-Led Research) vs Post-Acute COVID Syndrome
Le terme COVID long est né de l’initiative de groupes de patients sur les réseaux sociaux dès les premiers mois de la pandémie. En particulier, des patients autrefois atteints d’une forme initialement qualifiée de « bénigne » se sont rassemblés sur Twitter et d’autres plateformes pour partager leurs symptômes persistants et pousser la communauté médicale à reconnaître une évolution plus longue et complexe de la maladie. Ainsi, le COVID longLong Covid peut être considéré comme la première maladie dont la définition a été largement impulsée par les patients eux-mêmes via les médias sociaux (2021 PEREGO [3]). Ce mouvement de Patient-Led Research (recherche dirigée par les patients) a permis d’identifier et de documenter de nombreux symptômes lorsque le système de santé ne disposait pas encore de réponses claires, et a accéléré l’émergence de recherches pertinentes guidées par l’expérience vécue des malades. En parallèle, l’expression clinique Post-Acute COVID Syndrome (PACS) a été proposée par la communauté médicale pour décrire le même phénomène selon des critères diagnostiques plus traditionnels. Si ces deux approches sont complémentaires, elles reflètent une divergence de perspective : d’un côté l’expérience subjective et l’expertise d’usage des patients, de l’autre les standards médicaux établis. Leur convergence progressive a contribué à la reconnaissance du COVID long comme entité pathologique à part entière.
1.4 Les hypothèses physiopathologiques
Les mécanismes sous-jacents du COVID long font l’objet de nombreuses recherches et il est probable qu’aucune cause unique n’explique la diversité des tableaux cliniques observés. Plusieurs hypothèses physiopathologiques principales se dégagent à ce jour.
(1) Persistance virale : des fragments du virus SARS-CoV-2 pourraient demeurer actifs dans certains tissus (par exemple au niveau intestinal), entretenant une inflammation de bas grade. Des analyses sanguines récentes ont effectivement mis en évidence, chez des patients COVID long, l’expression prolongée de composants viraux (protéine N, ORF3a, ORF7a, ARN antisens de l’ORF1ab), suggérant une réplication virale persistante (2024 VAN WEYENBERGH [4]).
(2) Dysfonctionnement immunitaire : une activation excessive et prolongée du système immunitaire a été observée chez certains patients. Par exemple, une étude sur des soignants infectés a mis en évidence une dysrégulation immunitaire chez 29 % d’entre eux, avec une diminution des lymphocytes T CD4+ et CD8+ (cellules essentielles à la réponse antivirale) (Davis 2023 [2]), ainsi qu’une augmentation de cytokines pro-inflammatoires comme l’interleukine-6 reflétant un état d’inflammation chronique. Ces anomalies du système immunitaire pourraient contribuer à la persistance des symptômes et à la vulnérabilité prolongée des patients COVID long même après la phase aiguë. **
(3) Le microbiote intestinal est également impliqué : une dysbiose (déséquilibre de la flore intestinale) pourrait favoriser une translocation microbienne, c’est-à-dire le passage de molécules d’origine bactérienne dans la circulation sanguine, entraînant une inflammation endothéliale. Cette inflammation vasculaire favorise la formation de microthromboses (micro-caillots sanguins) observées chez certains patients COVID long, lesquels obstruent les capillaires et altèrent l’oxygénation des tissus.
(4) Co-infections et réactivations virales : la réactivation du virus Epstein-Barr (EBV) suite à l’infection par le SARS-CoV-2 est l’hypothèse principale de co-infection étudiée, mais d’autres agents infectieux latents pourraient jouer un rôle. Par exemple, un patient immunodéprimé (atteint de VIH) pourrait être plus à risque de développer une persistance virale du SARS-CoV-2.
1.5 Diagnostic d’exclusion vs biomarqueurs
En l’absence de biomarqueur spécifiquement validé pour le COVID long, le diagnostic reste aujourd’hui un diagnostic d’exclusion – posé après avoir écarté d’autres pathologies pouvant expliquer les symptômes. Néanmoins, certains examens complémentaires peuvent appuyer le diagnostic en objectivant des dysfonctions compatibles avec le COVID long, même s’ils ne sont pas encore standardisés. Par exemple, le Tilt test (test d’inclinaison) permet de détecter une dysautonomie orthostatique, notamment le syndrome de tachycardie orthostatique posturale (POTS), fréquent chez les COVID longs présentant des malaises et des palpitations. Des scintigraphies ou PET-scans peuvent révéler des anomalies de perfusion ou de métabolisme dans des organes (cerveau, cœur, poumons) correspondant aux symptômes rapportés. De même, des analyses transcriptomiques (profil d’expression des gènes) sur prélèvement sanguin peuvent identifier des signatures d’inflammation chronique ou de persistance virale. Ces outils restent toutefois exploratoires et réservés pour l’instant au cadre de la recherche. Des investigations supplémentaires sont nécessaires pour valider des biomarqueurs fiables du COVID long. À cet égard, une publication récente dans The Lancet Microbe a mis en avant le potentiel de tests sanguins pour détecter des traces persistantes du virus chez les patients COVID long, ouvrant la voie à une identification plus objective de cette condition (Van Weyenbergh, 2024). À mesure que de tels biomarqueurs seront développés et validés, le diagnostic de COVID long pourra évoluer d’un diagnostic d’exclusion vers un diagnostic positif, ce qui facilitera la reconnaissance de la maladie et l’accès des patients à des prises en charge adaptées.
2. Impact du COVID sur le personnel de soin
Les professionnels de santé ont été parmi les plus exposés aux risques et aux conséquences du COVID-19, tant sur le plan professionnel que personnel. Cette section examine l’impact du COVID long sur les soignants, à travers des témoignages individuels, puis par une analyse de ses répercussions sociales, économiques et professionnelles appuyée sur les données disponibles.
2.1 Témoignages
Parmi les soignants touchés par le COVID long, de nombreux témoignages mettent en lumière un quotidien transformé par la maladie. Nadège Wallerand, infirmière en maison de repos infectée en avril 2020, a partagé son expérience lors du colloque COVID Long organisé à l’ULB en septembre 2023. Son récit illustre les défis multiples auxquels peuvent être confrontés les soignants atteints de COVID long : fatigue chronique, troubles respiratoires, dysautonomie, troubles cognitifs, et un impact psychologique considérable lié à la fois à la maladie et au manque de reconnaissance de celle-ci. Voici un extrait de son témoignage :
« Je m’appelle Nadège, je suis infirmière et je travaillais en maison de repos et de soins lorsque j’ai attrapé le COVID en avril 2020. Depuis, ma vie n’a plus jamais été la même.
Ce n’est pas seulement la maladie en phase aiguë qui l’a bouleversée, mais les semaines, les mois qui ont suivi où je n’avais plus aucun contrôle sur mon corps. Je devenais dépendante de lui et j’avais l’impression qu’il menait une guerre contre moi.
Pendant la phase aiguë de la maladie, j’ai développé les symptômes « classiques », dont les principaux étaient la dyspnée, la tachycardie, l’asthénie, et des malaises dès que je fournissais le moindre effort. J’ai été en arrêt de travail pendant un mois avant de reprendre mon poste à temps plein.
Cependant, au cours des mois suivants, mes difficultés ont progressivement augmenté. Les crises de tachycardie sont devenues plus fréquentes et plus intenses, accompagnées de malaises, d’hypoglycémies, d’hypotension, d’un brouillard mental, d’une fatigue extrême ainsi que des douleurs musculaires et des problèmes de mémoire. Ces symptômes m’ont finalement conduite, en juillet 2020, à un nouvel arrêt de travail, épuisée physiquement et présentant un dysfonctionnement de la plupart de mes systèmes corporels : hormonal, digestif, neurologique, respiratoire…
Certains symptômes se sont atténués au fil des ans et d’autres sont toujours présents au quotidien, ce qui m’empêche de pouvoir reprendre mon travail d’infirmière et de vivre une vie normale.
Après de nombreux examens visant à écarter d’autres pathologies correspondant à ces symptômes, j’ai été diagnostiquée d’un syndrome post-COVID avec une dysautonomie – ce que l’on désigne aujourd’hui sous le terme de « COVID long ».
J’ai consulté de nombreux spécialistes dans l’espoir de comprendre l’origine de la détérioration de ma santé et de trouver des solutions, mais sans obtenir de réponses claires. Certains médecins ont fait preuve de bienveillance et de compréhension, cherchant à comprendre le « pourquoi » et à soulager mes symptômes pour me rendre un minimum de qualité de vie, tandis que d’autres ont adopté une attitude plus sceptique, affirmant que mes problèmes étaient dus au stress ou à l’anxiété, et qu’ils étaient d’origine psychologique – au point de me faire douter moi-même de mon état. J’ai entendu ces mots à plusieurs reprises : « Vous êtes très stressée et physiquement déconditionnée. Faites du sport et allez voir un psychologue, vous irez mieux ! ». J’ai donc suivi ces conseils en me reposant, en travaillant sur mon stress et en effectuant pendant deux ans de la revalidation physique dans un centre, mais cela n’a pas apporté le fameux rétablissement tant attendu.
Au fil des mois, je me suis sentie abandonnée par le corps médical, et beaucoup de personnes souffrant de COVID long éprouvent le même sentiment. Nous ne savions pas vers qui nous tourner pour obtenir une prise en charge et être véritablement écoutés sur nos symptômes – aussi variés soient-ils – sans être classés dans une case « psychologique » présentée comme la cause, alors qu’il s’agit plutôt d’une conséquence de cet état de santé détérioré, du manque de considération et d’écoute.
Après un an d’arrêt maladie, en 2021, j’ai reçu mon C4 pour raison médicale (licenciement pour inaptitude). À ce moment-là, je n’avais aucune information sur les démarches qu’il m’était possible d’entreprendre et ni la force physique, ni la force mentale pour me défendre correctement devant la médecine du travail et mon employeur. Mes conditions de travail de l’époque n’étaient pas optimales, et pendant la première vague, comme pour beaucoup de soignants, nous n’avions aucun matériel de protection, ni de réelles informations sur la maladie. De plus, je ne peux pas dire que ma hiérarchie ait fait preuve d’efficacité ou de proactivité face à cette crise et ses conséquences. Nous étions livrés à nous-mêmes et même réprimandés si nous n’avons pas dans leur sens et leurs directives concernant les protections possibles, même bricolées avec du matériel de fortune ou faites maison.
Personnellement, je pense que le personnel médical et soignant devrait être mieux informé sur le COVID long et sur les questions juridiques qui en découlent, notamment sur les différentes démarches qu’il est possible d’entreprendre (Fedris, syndicat, médecine du travail, expert médical, etc.), particulièrement dans les petites structures comme les maisons de repos ou les services de soins à domicile, où l’on se retrouve souvent livré à soi-même. Ces établissements manquent généralement de soutien, de représentation syndicale et de ressources pour accompagner les employés dans ces situations, et subissent une pression de la part de l’employeur qui n’est pas toujours à l’avantage du personnel.
À ce jour, les choses n’ont pas vraiment évolué concernant la prise en charge du COVID long, la prévention et l’information sur cette pathologie. Une part importante du secteur médical et soignant ne connaît pas le COVID long ni les conséquences qu’il peut avoir sur la vie des gens touchés – et un jour cela pourrait les concerner eux-mêmes ou un membre de leur entourage. Les recommandations restent les mêmes qu’il y a quatre ans, alors même que le coronavirus n’a pas disparu de notre société. Certaines personnes auront la chance de ne pas développer de COVID long, mais d’autres en souffriront, et cela représente un véritable enjeu de santé publique. Cette pathologie impacte profondément la vie des individus, tant sur le plan physique que psychologique, ainsi que sur les plans économique et social, et engendre également un coût important pour la société dans son ensemble.
De nombreuses personnes atteintes de COVID long sont jeunes, actives, et ne souffraient pas de pathologies antérieures ou de facteurs de risque particuliers – elles étaient en bonne santé. »
Ce témoignage met en exergue le parcours du combattant que représentent le COVID long et ses séquelles pour un soignant : errance médicale, invalidation des symptômes, perte d’emploi, et sentiment d’abandon. Il souligne également les carences institutionnelles en matière de prévention et de soutien du personnel soignant pendant la pandémie. Ce type de retour d’expérience a contribué à briser le silence autour du COVID long et a motivé des revendications pour une meilleure reconnaissance de la maladie comme maladie professionnelle, ainsi que pour la mise en place de dispositifs d’accompagnement dédiés.
2.2 Impact social et économique
Les effets du COVID long vont bien au-delà de la santé individuelle, avec des répercussions majeures sur la vie sociale et l’économie, en particulier pour le personnel de soin. D’une part, on observe une augmentation de l’absentéisme et des arrêts de travail prolongés chez les soignants touchés. D’autre part, la maladie entraîne une charge accrue sur les familles : une enquête menée au Royaume-Uni indique que 51,7 % des patients atteints de COVID long ont réduit leur temps de travail (Kwon, J., et al. 2024 [5]). Ces situations de retrait professionnel et de dépendance soulignent l’importance de politiques publiques adaptées pour soutenir à la fois les soignants affectés et leur famille. Des dispositifs tels que l’aménagement du temps de travail, l’octroi de congés maladie de longue durée, le soutien aux aidants informels ou encore la protection de l’emploi des soignants malades sont autant de mesures à considérer pour atténuer l’impact socio-économique du COVID long.
2.3 Professions les plus touchées
Si le COVID long peut toucher des personnes dans tout secteur d’activité, les professionnels de santé figurent parmi les plus durement affectés, en raison de leur forte exposition au virus. Une analyse de données internationales montre que les soignants en première ligne (hôpitaux, EMS, etc.) présentent les taux de COVID long les plus élevés, avec une prévalence moyenne d’environ 17 % suite à une infection aiguë (Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), 2024 [6]). À titre de comparaison, les enseignants – qui travaillent également en contact étroit avec de larges groupes dans des espaces clos – arrivent en deuxième position en termes de risque et de prévalence du COVID long (Calvo Ramos, S. 2024 [7]). Cette distribution met en évidence que les professions impliquant un contact humain intensif dans des environnements peu aérés ou densément peuplés sont associées à un risque accru de développer des symptômes prolongés après le COVID-19. D’autres métiers exposés (travailleurs sociaux, transport en commun, commerce de détail) pourraient également être concernés selon certaines études, bien que dans une moindre mesure. Ces données appellent à une vigilance particulière et à des mesures de protection renforcées pour les catégories professionnelles en première ligne lors des pandémies.
2.4 Aperçu international de l’impact sur les soignants
Les recherches menées dans différents pays offrent un aperçu des effets variés du COVID long sur le personnel de santé :
- Allemagne : Une étude de 2021 a recensé 84 728 cas d’infection à SARS-CoV-2 d’origine professionnelle parmi les soignants, ayant conduit à 375 hospitalisations et 77 décès (Nienhaus, A. 2021 [8]). Les manques initiaux en équipements de protection individuelle (EPI) ont fortement contribué à l’exposition du personnel soignant, soulignant la nécessité d’une meilleure préparation à l’avenir en matière de protection du personnel médical.
- Canada : D’après une publication de l’INSPQ en 2024, 17 % des soignants infectés présentent des symptômes persistants au-delà de la phase aiguë. Les symptômes les plus fréquents rapportés sont la fatigue (72 % des cas), les troubles cognitifs (50 %) et la dyspnée (20 %) (INSPQ 2024). En outre, le risque de développer un COVID long augmente significativement avec les réinfections successives, ce qui pose la question de la protection des soignants ayant déjà été malades à plusieurs reprises.
- États-Unis : Une étude de 2023 a identifié plusieurs facteurs de risque de COVID long chez les professionnels de santé américains : le sexe féminin, un indice de masse corporelle (IMC) élevé, et des comorbidités préexistantes telles que le diabète ou la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO). Combinées à de lourdes charges de travail, ces caractéristiques augmentent le risque non seulement de développer un COVID long, mais aussi d’en subir des conséquences professionnelles (arrêts répétés, baisse de performance, etc.) (Abu-Alhaija 2023 [9]).
- Brésil : La prévalence du COVID long atteint 27,4 % parmi les soignants ayant été infectés par le SARS-CoV-2 (Marra, A. R., et al., 2023 [10]) contre 10 à 20 % de la population générale. Le risque est d’autant plus élevé en cas de réinfections multiples. Les symptômes persistants les plus courants relevés dans cette population sont la fatigue, les douleurs musculaires et les céphalées, signes que le COVID long affecte à la fois la vitalité physique et le bien-être mental des soignants.
- Jordanie : Entre le début de la pandémie et la fin de la première année, le taux d’insomnie chronique chez les soignants jordaniens est passé de 49 % à 52 %. Parallèlement, le taux de burn-out professionnel a grimpé de 24,2 % à 35,4 % (Yassin, A., et al., 2022 [11]). Ces augmentations traduisent l’impact prolongé du COVID sur le personnel médical, avec des soignants épuisés à la fois par la charge de travail et par leurs propres problèmes de santé persistants.
- Suisse : Une étude longitudinale menée en 2023 rapporte que 23,9 % des soignants ayant contracté le COVID-19 présentent encore une altération fonctionnelle durable attribuable à un COVID long (Nehme, M., et al., 2023 [12]). Cette atteinte se manifeste par une qualité de vie diminuée et une capacité de travail réduite de façon marquée, plusieurs mois après l’infection initiale. Ce constat rejoint ceux d’autres pays quant à l’impact prolongé sur la disponibilité opérationnelle du personnel de soin.
Les impacts du COVID long sur les soignants révèlent des vulnérabilités structurelles dans les systèmes de santé. Face à des professionnels affaiblis ou absents en nombre significatif, la continuité et la qualité des soins peuvent être compromises. La reconnaissance de cette condition comme un problème de santé au travail, l’amélioration des mesures de prévention en milieu hospitalier, et le déploiement d’un soutien médical adapté s’imposent comme autant de priorités pour limiter ces effets et protéger les travailleurs de la santé. En outre, une meilleure information des soignants sur le COVID long et ses conséquences pourrait favoriser un diagnostic plus précoce et une prise en charge plus efficiente, réduisant ainsi l’errance médicale et la détresse des professionnels touchés mais également des patients en population générale, cela reviendrait à faire d’une pierre deux coups.
3. Impact du COVID sur le système de soin
Au-delà des individus, le COVID-19 et le COVID long exercent une pression considérable sur les systèmes de santé, en exacerbant certains problèmes préexistants et en en créant de nouveaux. Cette section aborde l’impact au niveau institutionnel et organisationnel : la transmission nosocomiale dans les hôpitaux, la charge persistante liée aux patients COVID long, les coûts engendrés et l’augmentation de l’utilisation des soins.
3.1 Transmission nosocomiale et surcharge hospitalière (Illustration en Suisse)
La pandémie de COVID-19 a mis en lumière l’importance des infections nosocomiales (contractées au sein des établissements de soins) dans la surcharge des hôpitaux. En Suisse, par exemple, il a été estimé que 74 à 78 % des infections au SARS-CoV-2 survenues chez les soignants étaient attribuables à des expositions professionnelles, les infirmiers et les aidants en gériatrie étant particulièrement touchés. Dans certains services hospitaliers, des taux d’attaque (proportion du personnel infecté) très élevés – dépassant 60 % – ont été relevés au plus fort des vagues, ce qui a mis en exergue la nécessité de stratégies de prévention robustes. Parmi les mesures déployées ou recommandées figuraient : (i) le dépistage régulier du personnel, y compris asymptomatique, et l’isolement rapide des cas positifs pour briser les chaînes de transmission ; (ii) l’amélioration des infrastructures, avec notamment l’installation de systèmes de ventilation performants équipés de filtres HEPA et le contrôle fréquent de la qualité de l’air intérieur ; (iii) la formation continue des soignants aux protocoles d’hygiène et de prévention des infections, afin de diffuser les bonnes pratiques. Lorsqu’elles ont été appliquées strictement, ces mesures ont permis de limiter la propagation du virus en milieu hospitalier. Toutefois, les retards initiaux dans leur mise en œuvre – dus à la pénurie de matériel, à la méconnaissance du mode de transmission aéroporté, ou à la sous-estimation du risque – ont souvent exacerbé les tensions hospitalières pendant les premières vagues. Cette expérience appelle à consolider durablement la prévention des infections nosocomiales, non seulement contre le coronavirus actuel mais aussi en anticipation de futures épidémies.
3.2 Chronicisation du COVID long et charge de soins (exemple de la Suisse)
Les séquelles à long terme post-COVID créent une nouvelle catégorie de patients chroniques, avec des besoins spécifiques et prolongés, qui impactent le système de soin. Une étude longitudinale suisse a révélé que 52,1 % des patients souffrant de COVID long présentent encore des symptômes après 15 mois de suivi, avec une prévalence particulièrement élevée de fatigue, de troubles cognitifs et d’insomnie. Cette persistance symptomatique se traduit par des conséquences significatives sur l’utilisation des soins et la vie quotidienne : par exemple, environ 93 % de ces patients rapportent une incapacité à remplir normalement leurs fonctions ou activités quotidiennes, indiquant un degré important d’altération fonctionnelle. De plus, la majorité de ces patients chroniques doivent consulter fréquemment des spécialistes (neurologues, pneumologues, cardiologues, centres de rééducation, etc.), générant une sollicitation accrue des ressources de santé sur le long terme. Ainsi, le COVID long tend à chroniciser une partie des suites de la pandémie, faisant émerger des besoins en rééducation, en suivi médical rapproché et en soutien pluridisciplinaire. Pour les systèmes de santé, cela implique d’adapter l’offre de soins (création de cliniques post-COVID, parcours de soins dédiés, réseaux de prise en charge multidisciplinaires) afin d’éviter un engorgement des services et de répondre adéquatement à cette nouvelle demande sanitaire.
3.3 Coûts des soins liés au COVID long (exemple de l’Allemagne)
Les données issues des systèmes d’assurance maladie commencent à refléter l’impact économique du COVID long. En Allemagne, il a été estimé que la prise en charge du COVID long engendre des coûts considérables pour le système de santé : le coût moyen par patient hospitalisé pour COVID long serait d’environ 4 583 €, et le coût total des hospitalisations attribuables au COVID long sur l’année 2021 atteindrait 136,6 millions d’euros. Les symptômes nécessitant le plus fréquemment une hospitalisation incluent la fatigue sévère, la dyspnée et les polyneuropathies, qui peuvent toutes trois compromettre l’autonomie et justifier des soins en milieu hospitalier. Il est à noter que l’absence de critères diagnostiques standardisés pour le COVID long complique la prise en charge : de nombreux patients subissent de multiples examens avant d’être diagnostiqués COVID long, ce qui allonge la durée de prise en charge et multiplie les consultations, contribuant ainsi à une augmentation des coûts indirects (arrêts de travail prolongés, examens répétés, errance thérapeutique). Ces chiffres allemands, parmi les premiers disponibles, donnent un ordre de grandeur de la charge économique associée aux formes longues de COVID-19 et soulignent l’enjeu d’optimiser le parcours de soins pour réduire les coûts évitables.
3.4 Utilisation accrue des soins (exemple du Royaume-Uni)
Les systèmes de santé publique constatent également une hausse de la sollicitation des services par les patients COVID long. Une étude menée au sein du National Health Service (NHS) britannique a mis en évidence une augmentation significative de l’utilisation des soins par les patients atteints de COVID long par rapport à la population générale : en moyenne, ces patients ont 30 consultations médicales par an, contre 16 pour des personnes non atteintes. De même, le coût annuel des soins par patient COVID long a été évalué à 2 562 £, soit une augmentation de 44 % par rapport aux patients sans COVID long. Ces chiffres traduisent une pression accrue sur les services de santé, en particulier sur les spécialités les plus impliquées dans le suivi du COVID long (services de rééducation, neurologie, pneumologie, cardiologie, etc.). Face à cette surutilisation, le NHS a recommandé d’élaborer des protocoles de prise en charge spécifiques pour les patients COVID long, afin d’optimiser les parcours de soins et d’éviter les consultations redondantes. Par exemple, le développement de « cliniques COVID long » multidisciplinaires au Royaume-Uni vise à centraliser l’évaluation et la gestion de ces patients, ce qui pourrait améliorer l’efficacité des soins tout en réduisant la charge sur les généralistes et les spécialistes dispersés.
L’impact du COVID-19 sur les systèmes de santé ne se limite pas à la phase aiguë de la pandémie. Les vagues successives ont non seulement engorgé temporairement les hôpitaux, mais ont aussi laissé derrière elles un fardeau durable sous la forme du COVID long. La transmission nosocomiale du virus, les séquelles prolongées chez un nombre non négligeable de patients, et l’augmentation des coûts de soins mettent en lumière la nécessité d’investir dans la prévention et l’amélioration des infrastructures. Il est essentiel de renforcer les mesures de contrôle des infections en milieu de soin (ventilation, EPI, protocoles), d’anticiper les besoins de suivi au long cours des patients post-COVID, et d’adapter l’allocation des ressources en conséquence. En somme, la pandémie a agi comme un révélateur de failles structurelles et offre l’opportunité d’améliorer la résilience des systèmes de santé face aux crises sanitaires futures.
4. Pourquoi ? Théories et hypothèses explicatives
Comprendre le COVID long, en particulier chez les soignants, requiert de se pencher sur les mécanismes immunologiques et physiopathologiques susceptibles d’expliquer la persistance des symptômes. Plusieurs théories sont explorées par la communauté scientifique pour éclairer ce phénomène. Nous en détaillons trois qui font l’objet d’une attention particulière : l’impact immunitaire prolongé de l’infection, la réévaluation de l’« hypothèse hygiéniste », et la théorie de l’épuisement des lymphocytes T.
4.1 Impact immunitaire prolongé
Le COVID long s’accompagne de perturbations immunitaires persistantes, en particulier chez les soignants qui ont été exposés à des formes sévères de l’infection initiale. Ainsi qu’évoqué précédemment, une étude chinoise réalisée auprès de travailleurs de santé infectés a mis en évidence des altérations immunitaires notables plusieurs mois après l’infection aiguë (Xiong, L., et al. 2022 [13]). Environ 29 % des professionnels suivis présentaient une dysrégulation de l’immunité, caractérisée par des taux abaissés de lymphocytes T CD4+ et CD8+ (des cellules essentielles pour une réponse antivirale efficace) . Parallèlement, ces patients montraient des niveaux accrus de cytokines pro-inflammatoires telles que l’IL-6, signe d’un état inflammatoire chronique persistant. De telles anomalies du système immunitaire peuvent fournir une explication à la persistance des symptômes : un déséquilibre entre l’inflammation et la régénération pourrait empêcher un retour à la normale après l’infection. En outre, cette vulnérabilité immunitaire prolongée pourrait exposer les soignants à d’autres infections ou réactivations virales tant que leur système immunitaire n’a pas retrouvé son homéostasie. Ces observations appellent à un suivi immunologique des patients COVID long et à des recherches sur d’éventuelles immunothérapies ou traitements anti-inflammatoires pour corriger ces déséquilibres.
4.2 Mise à jour de l’hypothèse hygiéniste
Les théories classiques de l’« entraînement immunitaire » ou hypothèse hygiéniste suggèrent que la réduction de notre exposition aux microbes (par l’hygiène, la vie urbaine aseptisée, etc.) pourrait affaiblir notre système immunitaire à long terme en diminuant les stimulations nécessaires à son développement. Cependant, des travaux récents nuancent fortement cette vision simpliste. Bloomfield et collaborateurs (2016 [14]) insistent sur le fait que c’est davantage la perturbation du microbiome (due à l’urbanisation, à l’usage massif d’antibiotiques, aux modifications de régime alimentaire) – plutôt que l’absence d’exposition aux germes pathogènes – qui joue un rôle central dans la hausse des maladies allergiques et auto-immunes observée ces dernières décennies. De leur côté, Scott et al. (2020) [15] proposent un modèle évolutif actualisé : ils suggèrent de passer de la théorie pasteurienne des germes à une « théorie des microbiomes », qui intègre les bénéfices pour la santé d’une exposition aux microbes environnementaux tout en maintenant une hygiène ciblée sur les vecteurs majeurs d’infection (lavage des mains, désinfection des surfaces à haut contact). Autrement dit, il s’agit de trouver un équilibre entre, d’une part, la prévention des maladies infectieuses graves et, d’autre part, la préservation d’un microbiote diversifié et équilibré qui éduque le système immunitaire. Ces perspectives sont particulièrement pertinentes dans le contexte du COVID long : certains chercheurs émettent l’hypothèse qu’une altération du microbiote (due à l’infection virale ou aux traitements antibiotiques associés) pourrait contribuer aux symptômes au long cours. Ainsi, plutôt que de blâmer une « excessive propreté », les efforts devraient se concentrer sur le rétablissement d’un microbiome sain chez les patients post-COVID (par exemple via des probiotiques, une nutrition adaptée) tout en continuant de prévenir les infections par des mesures d’hygiène raisonnées.
4.3 Théorie de l’épuisement des cellules T (T-cell exhaustion)
Chez certains patients COVID long, on soupçonne qu’une activation immunitaire intense durant la phase aiguë (notamment chez ceux ayant fait une forme sévère ou répétée du COVID-19) puisse conduire à un épuisement fonctionnel des lymphocytes T. Ce phénomène d’exhaustion correspond à une baisse de la capacité des cellules T à proliférer et à lutter contre de nouvelles menaces, après avoir été sur-sollicitées. Cette théorie est étayée par des études montrant une diminution significative de la réactivité des lymphocytes T face à de nouveaux antigènes après une infection sévère à SARS-CoV-2. En d’autres termes, le système immunitaire « brûle ses cartouches » lors de l’infection initiale et peine ensuite à réagir normalement. Des mécanismes similaires d’épuisement immunitaire sont bien documentés dans d’autres maladies virales chroniques, comme le VIH, où les cellules T constamment stimulées finissent par devenir dysfonctionnelles. Par analogie, on peut craindre qu’une personne ayant subi plusieurs infections COVID-19 ou une infection très inflammatoire voie son immunité cellulaire durablement affaiblie. Cela pourrait la rendre plus vulnérable à d’autres pathogènes (bactéries, virus saisonniers, etc.) pendant un certain temps, ce qui est une piste actuellement étudiée. Ce constat amène à militer pour une surveillance épidémiologique élargie des convalescents du COVID : il importe de détecter précocement tout signe d’immunodépression induite, et de mieux comprendre comment restaurer une immunité optimale chez ces patients (par exemple via la vaccination, des stimulants immunitaires, etc.). Bien que cette hypothèse reste à confirmer, elle rappelle que la pandémie pourrait avoir des effets indirects à long terme sur la santé publique en fragilisant transitoirement le rempart immunitaire d’une partie de la population.
L’exploration de ces hypothèses physiopathologiques met en lumière la complexité du COVID long et la nécessité d’une approche pluridisciplinaire pour en élucider les mécanismes. Il est probable qu’aucune théorie unique n’explique à elle seule toutes les facettes du syndrome, ce qui implique de combiner les connaissances en virologie, immunologie, neurologie, microbiologie, etc. Les efforts de recherche doivent se concentrer à la fois sur le développement d’outils diagnostiques robustes (par exemple, identifier des biomarqueurs spécifiques et non spécifiques) et sur des interventions thérapeutiques ciblées (telles que des antiviraux contre la persistance virale, ou des traitements immunomodulateurs). Parallèlement, l’intégration des connaissances sur l’immunité post-infectieuse et le microbiote sera essentielle pour orienter les stratégies de prévention et de prise en charge. En somme, comprendre le pourquoi du COVID long servira à mieux combattre ses effets, au bénéfice des patients comme des soignants.
5. Perspectives et recommandations
À la lumière des constats précédents, il apparaît indispensable de tirer les leçons de la pandémie et de mettre en place des actions correctrices. Protéger les soignants et renforcer la résilience du système de santé face au COVID long (et à d’éventuelles futures crises sanitaires) exige des mesures à la fois préventives, scientifiques et organisationnelles. Voici quelques pistes majeures envisagées, articulées autour du bien-être au travail, de la reconnaissance du COVID long, de l’accès aux traitements, de la collaboration entre acteurs, et de la transformation du système de santé.
5.1 Code « bien-être au travail » : prévention et action
La crise du COVID-19 a révélé des lacunes structurelles dans la protection des soignants contre les risques aéroportés. Pour y remédier, les plans quinquennaux de prévention doivent intégrer ces aspects afin d’améliorer la sécurité et le bien-être des professionnels de la santé. Plusieurs axes d’interventions prioritaires ont été définis. Premièrement, renforcer la ventilation et la filtration de l’air dans tous les environnements de soin : cela passe par l’installation de systèmes de ventilation équipés de filtres HEPA, le contrôle régulier de la qualité de l’air intérieur et, plus globalement, par la modernisation des infrastructures pour assurer un renouvellement d’air adéquat. Deuxièmement, mettre en place une formation continue du personnel sur les mesures de prévention des infections : il s’agit de sensibiliser et de former les soignants aux protocoles d’hygiène spécifiques aux maladies respiratoires aériennes (port correct des masques, utilisation des EPI, procédures d’isolement, etc.). Troisièmement, intégrer ces préoccupations dans les plans institutionnels : les hôpitaux et cliniques devraient inscrire sur la durée (plans pluriannuels) des investissements dédiés à la sécurité sanitaire, afin de pérenniser les améliorations d’infrastructure et de ne pas relâcher l’attention une fois la crise passée. L’ensemble de ces actions vise à réduire drastiquement les infections nosocomiales et à créer des environnements de travail plus sûrs pour les professionnels de santé, non seulement face au COVID-19 mais aussi face à tout agent infectieux à transmission aérienne. En outre, améliorer les conditions de travail sur le plan de la qualité de l’air et de la protection individuelle contribue également au bien-être psychologique des soignants, en leur assurant que tout est mis en œuvre pour les protéger lorsqu’ils prennent en charge des patients contagieux.
5.2 Biomarqueurs et reconnaissance comme maladie professionnelle
Malgré son impact, le COVID long reste aujourd’hui insuffisamment reconnu comme maladie professionnelle dans de nombreux pays, ce qui freine l’accès des soignants touchés à certains droits et indemnisations. Plusieurs enjeux doivent être adressés pour faire évoluer cette situation. D’une part, le développement de biomarqueurs spécifiques du COVID long est primordial : disposer de tests objectifs (par exemple un marqueur sanguin ou immunologique) permettrait de valider plus facilement les diagnostics et d’évaluer l’efficacité des traitements. Des travaux récents, comme évoqué précédemment, suggèrent des pistes prometteuses (détection d’ARN viral persistant, signatures inflammatoires caractérisées, etc.), mais ils doivent encore aboutir à des outils standardisés utilisables en clinique. D’autre part, la reconnaissance juridique du COVID long doit progresser. À ce titre, une décision de la Cour constitutionnelle belge en date du 14 novembre 2024 représente une avancée significative, ouvrant la voie à la reconnaissance élargie du COVID long comme maladie professionnelle (affection liée à l’exercice du travail) dans le cadre légal national. Une telle reconnaissance officielle permettrait aux soignants atteints de faire valoir des droits spécifiques (prise en charge financière des soins, indemnités en cas d’incapacité, protection de l’emploi, reclassement, etc.). En somme, l’amélioration du diagnostic par biomarqueurs et l’évolution du cadre légal sont deux leviers complémentaires pour mieux prendre en charge les soignants concernés. Ils s’inscrivent dans une évolution plus large vers une médecine de précision et une médecine du travail renouvelée, qui tiennent compte des particularités de chaque maladie émergente et de chaque population exposée.
5.3 Accès aux traitements
En l’absence, à ce jour, de traitement « miracle » validé pour le COVID long, il est important d’explorer diverses pistes thérapeutiques tout en générant des données probantes sur leur efficacité. Plusieurs approches sont proposées ou en cours d’évaluation. Les antiviraux : faciliter l’accès aux médicaments antiviraux ciblant le SARS-CoV-2 pourrait s’avérer bénéfique chez certains patients, en particulier si l’hypothèse d’une persistance virale se confirme. L’administration précoce d’antiviraux lors de la phase aiguë pourrait aussi réduire le risque de COVID long en diminuant la charge virale initiale, ce qui justifie de poursuivre les essais cliniques en ce sens. Un protocole de soins plus démocratique : il est recommandé d’intégrer les patients eux-mêmes, notamment les « patients-experts » et les experts-patients (le personnel de soin ?), dans l’élaboration des stratégies thérapeutiques. Leur expérience et leur recul sur la maladie peuvent orienter les priorités de recherche (par exemple, évaluer telle molécule déjà utilisée dans une autre indication, tester telle approche de rééducation fonctionnelle, etc.), et garantir que les traitements développés répondent aux besoins concrets. La recherche translationnelle : encourager la collaboration étroite entre chercheurs et cliniciens est une autre piste clé. Le but est d’accélérer l’innovation tout en respectant les principes éthiques de l’EBM (evidence-based medicine). Cela passe par la mise en place d’essais cliniques adaptés au COVID long, potentiellement plus flexibles ou pragmatiques (vu la diversité des symptômes), et par le partage rapide des résultats au sein de la communauté scientifique. Des experts soulignent en effet que les essais thérapeutiques classiques doivent être repensés pour cette nouvelle condition, en incluant par exemple des critères d’évaluation centrés sur le patient (qualité de vie, fonction, et pas seulement des biomarqueurs) (GODLMAN M. 2024). En attendant des traitements spécifiques, la prise en charge actuelle reste principalement symptomatique (rééducation à l’effort dosée, orthèses pour les troubles neurologiques, soutien psychologique, traitements des douleurs, etc.) et est insuffisante.
5.4 Fédérer une alliance de santé publique
Face à un défi aussi transversal que le COVID long, une approche collaborative s’impose. La création d’une alliance rassemblant l’ensemble des acteurs concernés pourrait constituer une réponse puissante pour accélérer les avancées. Cette alliance devrait inclure à la fois les associations de patients (spécifiquement celles dédiées au COVID long, mais aussi des groupes de patients souffrant d’autres maladies chroniques ayant des expériences similaires à partager) et les représentants des soignants (syndicats, ordres professionnels, associations professionnelles), les acteurs de la santé publique ainsi que les institutions publiques (ministères de la santé, organismes de prévention et de sécurité au travail, assureurs santé publics). Une telle coalition servirait de force de proposition et de pression pour améliorer la prévention et la prise en charge du COVID long. Elle pourrait agir comme une « digue » collective pour prévenir un retour massif des maladies infectieuses non contrôlées, en s’assurant que les leçons de la pandémie sont appliquées de façon durable dans les politiques de santé. Cette alliance aurait également pour rôle de promouvoir la résilience institutionnelle : inciter les hôpitaux, cliniques et autres structures de soin à se doter de plans d’action robustes face aux risques épidémiques, et à assumer une plus grande responsabilité dans la protection de leurs travailleurs . Par exemple, un établissement de santé devrait rendre des comptes sur ses taux d’infections nosocomiales et le suivi de la santé de son personnel post-COVID, au même titre qu’il le fait sur la qualité des soins aux patients. En unissant les efforts des patients, des soignants et des autorités, on crée les conditions d’une vigilance partagée et d’une mobilisation générale contre le COVID long et ses conséquences.
5.5 Renforcer la résilience et rénover le système de santé
Le COVID long a agi comme un révélateur des limites d’un système de santé déjà fragilisé avant la pandémie. Il est primordial de repenser le fonctionnement de ce système en plaçant la santé des soignants au cœur de sa transformation. Cet enjeu s’inscrit dans une démarche de démocratie sanitaire, où les professionnels de santé et les patients participent ensemble à l’élaboration des solutions. Concrètement, plusieurs actions structurantes peuvent être envisagées. Premièrement, accroître les financements dédiés à la recherche clinique publique, afin de soutenir les innovations à forte « rentabilité sanitaire ». Cela pourrait passer par des dispositifs de financement mixtes associant fonds publics et privés, et par la création de consortiums réunissant chercheurs, patients-experts et cliniciens autour de projets ciblés. L’objectif est d’accélérer le développement de traitements ou d’outils diagnostiques du COVID long tout en conservant l’intérêt public au centre des préoccupations (par exemple, en organisant une accessibilité renforcée à l’innovation thérapeutique pour le personnel de soin). Deuxièmement, augmenter les investissements dans la prévention, en remettant notamment la prévention des infections nosocomiales sur le devant de la scène. Prévenir activement la transmission des virus à l’hôpital (par l’hygiène de l’air, la vaccination du personnel, le dépistage régulier, etc.) permettrait de réduire le nombre de soignants malades et, à terme, de diminuer les coûts humains et financiers des épidémies. Cette approche préventive est un investissement qui porte ses fruits en limitant les crises sanitaires et leurs séquelles. Troisièmement, procéder à une revalorisation des métiers du soin : il s’agit d’améliorer les conditions de travail (horaires, charge de travail, sécurité de l’environnement) et de reconnaître à leur juste valeur l’engagement des soignants. Redonner du sens à l’action soignante et offrir des perspectives de carrière attractives contribueront à fidéliser les talents et à réduire les départs prématurés dus à l’épuisement professionnel ou à la démotivation. In fine, ces actions ne constituent pas seulement une réponse à une situation de crise, mais une opportunité de construire un système de santé plus robuste et plus humain. En renforçant la résilience du système – c’est-à-dire sa capacité à absorber les chocs tout en maintenant ses fonctions essentielles –, on prépare mieux l’avenir. Cela bénéficie tant aux soignants (qui évoluent dans un cadre plus protecteur et valorisant) qu’aux patients (qui profitent indirectement d’une meilleure qualité des soins).
Conclusion générale
La pandémie de COVID-19 a profondément bouleversé le monde de la santé, exposant les professionnels à des défis sans précédent et révélant les failles structurelles des systèmes de soins. Le COVID long, en particulier, constitue une menace persistante pour la santé des soignants, leur qualité de vie et la résilience des structures hospitalières. Les enseignements tirés de cette crise soulignent plusieurs priorités d’action. Premièrement, la reconnaissance et la prise en charge du COVID long : obtenir la reconnaissance du COVID long en tant que maladie professionnelle et développer des biomarqueurs fiables sont deux éléments cruciaux pour offrir un soutien adapté aux soignants touchés et légitimer leurs symptômes. Deuxièmement, la prévention et le renforcement des infrastructures : investir dans des environnements de travail sûrs (ventilation, équipements de protection) et dans des programmes de prévention à long terme est essentiel pour limiter l’ampleur des crises sanitaires futures. Troisièmement, le soutien psychologique et organisationnel : il n’est plus acceptable que les soignants soient laissés seuls face aux impacts psychologiques et fonctionnels du COVID long. Des mesures de soutien ciblées (cellules d’écoute, accompagnement pour la réinsertion professionnelle, aménagements du poste de travail) sont nécessaires pour réduire le burn-out et les départs précoces du secteur de la santé. Enfin, des investissements dans la recherche et la résilience : soutenir une recherche clinique publique, collaborative et innovante est indispensable pour accélérer l’innovation thérapeutique autour du COVID long et bâtir des systèmes de santé capables de répondre efficacement aux crises à venir. En plaçant la santé et le bien-être des soignants au centre des réformes, il est possible de transformer cette crise en opportunité : celle de construire un système de santé plus équitable, durable et résilient. Le COVID long, bien qu’il ait mis en évidence des vulnérabilités, doit aussi devenir le moteur d’un changement systémique bénéfique pour l’ensemble des acteurs du soin. En protégeant mieux ceux qui nous soignent, c’est la solidité de toute la chaîne de santé publique que nous renforçons
Références
- Jamoulle, M., Louazon, E., Antonacci, T., & Van Weyenbergh, J. (2024). Long COVID needs novel clinical trials. Nature, 626, 954. https://doi.org/10.1038/d41586-024-00546-7 https://orbi.uliege.be/handle/2268/314613
- Davis, H. E., McCorkell, L., Moore Vogel, J., & Topol, E. J. (2023). Long COVID: Major findings, mechanisms and recommendations. Nature Reviews Microbiology, 21(3), 133–146. https://doi.org/10.1038/s41579-022-00846-2
- Callard, F., & Perego, E. (2021). How and why patients made Long Covid. Social Science & Medicine, 268, 113426. https://doi.org/10.1016/j.socscimed.2020.113426
- Menezes, S. M., Jamoulle, M., Carletto, M. P., Moens, L., Meyts, I., & Maes, P. Van Weyenbergh, J. , (2024). Blood transcriptomic analyses reveal persistent SARS-CoV-2 RNA and candidate biomarkers in post-COVID-19 condition. The Lancet Microbe, 5, 100849. https://doi.org/10.1016/S2666-5247(24)00055-7
- Kwon, J., Milne, R., Rayner, C., Rocha Lawrence, R., Mullard, J., Mir, G., Delaney, B., Sivan, M., & Petrou, S. (2024). Impact of Long COVID on productivity and informal caregiving. The European Journal of Health Economics, 25(8), 1095–1115. https://doi.org/10.1007/s10198-023-01653-z
- Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), Long COVID chez les professionnels de la santé : données de surveillance au Canada, 2024. https://www.inspq.qc.ca/publications/3510
- Santiago, I. (2024, February). Tentative assessment of the impact of COVID-19 on healthcare capacity and systems in the EU. Directorate-General for Health and Food Safety, European Commission. https://economy-finance.ec.europa.eu/system/files/2024-01/eb077_en.pdf
- Nienhaus, A. (2021). COVID-19 among Health Workers in Germany—An Update. International Journal of Environmental Research and Public Health, 18(17), 9185. https://doi.org/10.3390/ijerph18179185
- Abu-Alhaija, D. M., Matibiri, P., Brittingham, K., Wulsin, V., Davis, K. G., Huston, T., & Gillespie, G. (2023). The factors associated with the development of COVID-19 symptoms among employees in a U.S. healthcare institution. International Journal of Environmental Research and Public Health, 20(12), 6100. https://doi.org/10.3390/ijerph20126100
- Marra A. R., et al., Prevalence of long COVID among Brazilian healthcare workers, International Journal of Infectious Diseases, 2023.
- Yassin, A., Al-Mistarehi, A.-H., Qarqash, A. A., Soudah, O., Karasneh, R. A., Al-Azzam, S., Khasawneh, A. G., El-Salem, K., Kheirallah, K. A., & Khassawneh, B. Y. (2022). Trends in insomnia, burnout, and functional impairment among health care providers over the first year of the COVID-19 pandemic. Clinical Practice & Epidemiology in Mental Health, 18, e174501792206200. http://dx.doi.org/10.2174/17450179-v18-e2206200
- Nehme, M., Braillard, O., Chappuis, F., & Guessous, I. (2023). Chronic post-COVID condition: association with neurocognitive symptoms, functional impairment, and increased healthcare use. Scientific Reports, 13, Article 13699. https://doi.org/10.1038/s41598-022-18673-z.
- Xiong, L., Li, Q., Cao, X., Xiong, H., Huang, M., Yang, F., Meng, D., Zhou, M., Zhang, Y., Fan, Y., Tang, L., Jin, Y., Xia, J., & Hu, Y. (2022). Recovery of functional fitness, lung function, and immune function in healthcare workers with nonsevere and severe COVID-19 at 13 months after discharge from the hospital: A prospective cohort study. International Journal of Infectious Diseases, 123, 119–126. https://doi.org/10.1016/j.ijid.2022.06.052
- Bloomfield, S. F., Rook, G. A. W., Scott, E. A., Shanahan, F., Stanwell-Smith, R., & Turner, P. (2016). Time to abandon the hygiene hypothesis: New perspectives on allergic disease, the human microbiome, infectious disease prevention and the role of targeted hygiene. Perspectives in Public Health, 136(4), 213–224. https://doi.org/10.1177/1757913916650225
- Scott, E. A., Bruning, E., Nims, R. W., Rubino, J. R., & Ijaz, M. K. (2020). A 21st century view of infection control in everyday settings: Moving from the Germ Theory of Disease to the Microbial Theory of Health. American Journal of Infection Control, 48(11), 1387–1392. https://doi.org/10.1016/j.ajic.2020.05.012
- Cauchemez, S., Cossu, G., Delzenne, N., Elinav, E., Fassin, D., Fischer, A., Hartung, T., Kalra, D., Netea, M., Neyts, J., Rappuoli, R., Pizza, M., Saville, M., Tenaerts, P., Wright, G., Sansonetti, P., & Goldman, M. (2024). Standing the test of COVID-19: Charting the new frontiers of medicine. Frontiers in Science, 2, 1236919. https://doi.org/10.3389/fsci.2024.1236919
Laisser un commentaire